Interview d’Adam Jaulhac

par | Oct 2020

Au travers de son expérience de joueur professionnel, Adam nous livre une analyse détaillée et passionnante sur la complexité et les enjeux du management dans le sport de haut niveau.

J’ai eu la chance et le privilège d’interviewer Adam Jaulhac, joueur de rugby professionnel.

Adam commence le rugby à 14 ans à Brive. Il est appelé en Equipe de France 4 ans plus tard et devient titulaire indiscutable chez les jeunes. Il jouera 8 ans à l’Union Bordeaux Bègles puis 4 ans à l’Aviron Bayonnais. A 32 ans, après 18 années au plus haut niveau, il raccroche les crampons, à l’issue de la saison 2019/2020.

Il nous livre ici une analyse complète de l’environnement d’un joueur professionnel, évoque la complexité de transformer un groupe en équipe, et pose un regard éclairé sur l’évolution de son sport. Au travers de son expérience personnelle, Adam nous parle de management, de motivation, de vie de groupe et de compétence, avec en toile de fond la recherche omniprésente de la performance. Ce garçon charmant, plutôt discret, s’est prêté à l’exercice avec beaucoup de simplicité, de générosité et de sympathie.

FICHE JOUEUR

Adam JAULHAC, 32 ans, deuxième ligne
1,98m pour 120kg

Clubs :
2016-2020 I Aviron Bayonnais
2008-2016 I Union Bordeaux Bègles
2007-2008 I CA Brive

Equipe de France :
International U18 U19 U20
2007-2008 I Coupe du Monde Junior
2006-2007 I Coupe du Monde U19

Distinction :
2011 I Élu meilleur joueur de l’année par « Midi Olympique » (23 ans)

Quel regard portes-tu sur ta carrière ?

Le bilan est positif dans l’ensemble. D’abord, il y a eu des années fastes à Bordeaux. Le club est parti du fin fond de la pro D2 et est arrivé au sommet en 5 ans. Ce fût une magnifique expérience, c’était ma jeunesse et ma construction aussi. J’ai pris beaucoup de plaisir, découvert plein de choses, et ça marchait fort, donc très sympa.

Après, il y a eu les années de confirmation, entre 25 et 28 ans où j’ai pris du plaisir au plus haut niveau, avec un groupe qui vivait hyper bien et qui est resté avec des attitudes de petit club de pro D2. C’était l’ambiance qui primait, la bonne humeur, et les résultats suivaient. C’était l’alchimie parfaite pour se sentir bien et performer.

Quel genre de joueur es-tu ?

Je ne suis pas un grand joueur de ballon, mon rôle c’est de faire des rucks, des mêlées, des touches, des rôles simples, que pas grand monde n’aime faire, mais que j’adore faire !

« Je soutiens les valeurs campagnardes du rugby parce que je viens de là »

Je n’ai jamais été un grand communiquant, je suis plutôt réservé. En revanche, en dehors du terrain, pour rigoler, quand il y avait des blagues à faire, je n’étais jamais bien loin ! Je soutiens les valeurs campagnardes du rugby parce que je viens de là, apéro, barbecue. Si je n’ai pas fait 110kg toute ma carrière, c’est à cause de cela mais je l’ai très bien vécu ainsi. C’est comme ça que j’avais envie de jouer au rugby.

A ton poste, et dans ton style de jeu, tu touches peu de ballons mais tu travailles pour les autres, peut-on dire que tu es un homme de l’ombre ?

Oui et c’est ce qui me fait me lever le matin, c’est de rendre fiers mes coéquipiers, ma famille et mes amis.

Quelle reconnaissance as-tu pour ton rôle sur le terrain ? Est-elle inférieure par rapport à d’autres postes, du fait de ce rôle discret ?

Non, pas du tout, au contraire car ceux qui jouent avec toi savent ce que tu fais. On m’a déjà dit par exemple « on ne t’a pas vu du match, tu as fait un bon match », parce que j’étais couché par terre. Quand cela vient de tes coéquipiers ou de tes coachs, cela compte. Quand un buteur vient te taper dans le dos, ça veut dire « ce que tu viens de faire va nous permettre de gagner 3 points », ou « parce que tu l’as fait, je n’ai pas eu besoin de le faire » et ça, ça suffit. Le lundi matin, quand tu fais l’analyse vidéo, tu te dis « je n’ai peut-être pas traversé le terrain, je n’ai pas marqué d’essai, mais voilà ! » Et quand les coachs le soulignent devant les copains, ça fait du bien aussi.

Lors de notre finale de Pro D2 avec Bayonne, on a tous mis en valeur notre buteur qui nous permet de gagner à la toute fin du match. Cependant, on a beaucoup reparlé de ce match avec les copains, et chacun d’entre nous se souvient d’une action, d’un geste, d’un moment ou un coéquipier nous a permis de remporter cette victoire collective.

Moi, en tant que 2ème ligne, ma plus belle reconnaissance est celle de mes piliers et quand tu as une bonne entente avec eux, c’est gratifiant.

C’est important la reconnaissance des supporters ?

Ça l’est. Quand ça va mal, c’est dur. Mais avec le recul, la reconnaissance des supporters est importante pour ta famille en fait, pour les gens qui t’entourent et qui te suivent. Si mon fils entend que je n’ai pas été bon, cela lui fera plus mal que si c’est moi qui l’entends. Et ça, il m’est arrivé de très mal le vivre.

Quel est ton plus beau souvenir ?

La montée en top14 avec l’UBB !

Saison 2018/2019, vous montez en Top 14 avec Bayonne. L’as-tu vécu de la même façon qu’à l’UBB ?

A l’UBB, c’était ma première montée, nous étions une bande de copains. On finit 5ème du championnat en phase régulière. On joue le second du championnat et on gagne contre toute attente. Puis la finale… Sentiment vraiment très fort.

Avec Bayonne, nous étions un peu plus attendu. Et puis, il y a eu ce scénario de la finale où nous gagnons sur une pénalité à la dernière seconde, c’était incroyable. Mais du coup, on s’est surtout focalisé sur ce qu’il s’était passé pendant ce match, et moins sur l’engouement autour.

Ce dont tu es le plus fier dans ta carrière ?

Le dernier match à Moga avec l’UBB avant que l’on change de stade. J’étais blessé aux cervicales. J’ai fait le forcing auprès des médecins et des chirurgiens pour reprendre plus tôt que prévu et j’arrive à jouer ce match avec une charge émotionnelle énorme, parce que c’est Bègles qui m’a construit, qui m’a lancé. C’était un match standard pour beaucoup mais pas pour moi. En plus, mon père est venu me voir, c’était un immense moment de fierté.

Quels conseils donnerais-tu à un jeune joueur pour faire une belle carrière ?

J’ai passé 10 ans de ma carrière à ne pas m’écouter physiquement et je me suis détruit je pense 2 ans de santé physique, et donc, 2 ans de carrière. Par conséquence, j’aurai tendance à dire de bien gérer son physique. Et paradoxalement, depuis 2 ans que je m’écoute un peu plus à cause des douleurs récurrentes, j’ai moins joué et cela a aussi écourté ma carrière je pense.

« Un joueur de rugby, c’est 20% de potentiel et de talent, et 80% de boulot »

Un joueur de rugby, c’est 20% de potentiel et de talent, et 80% de boulot. Si j’y suis arrivé, c’est parce que je me levais à 5h le matin, pour aller courir avant les autres. Le cas extrême, c’était Johnny Wilkinson, il arrivait 2h avant tout le monde et partait 2h après. Mais quand il posait le ballon, il savait que ça allait passer.

Alors, je pourrai dire ça à un jeune : si tu travailles plus que les autres, tu vas y arriver.

Tu as évoqué l’alchimie parfaite tout à l’heure en parlant de tes années à Bordeaux, est-ce que cette alchimie est la clef du succès ?

Certains ont cette alchimie parfaite en Top 14 mais les résultats ne suivent pas et alors là, l’aventure est moins sympa. C’est un peu ce qu’il y a eu à Bayonne quand je suis arrivé. Le groupe vivait hyper bien, l’alchimie était top mais les résultats ont vite été catastrophiques, et c’est devenu une année noire. Rugbystiquement parlant, c’était la pire année de ma vie.

Et cette alchimie perdure-t-elle malgré les mauvais résultats ?

Non, elle s’effrite petit à petit. Il y a des groupes qui se distinguent et se renforcent. Par exemple, au début de saison, il y a les français et les étrangers, avec une certaine barrière de la langue, certes, mais tout le monde fait des efforts pour communiquer. Et puis plus ça va, moins tu en fais. Quand tu en prends plein la tête par le coach et les supporters, le groupe continue de vivre mais chacun fait un peu moins d’efforts de son côté pour que ça se passe bien. La bonne humeur reste quand même, mais de façon plus éclatée, au sein de ton groupe de joueurs français par exemple.

As-tu vécu d’autres années compliquées ?

Il y a des années où c’est moins sympa, quand tu ne fais pas partie des plans du coach. Je l’ai connu à Bordeaux. Tu n’es pas plus mauvais que les autres mais le coach ne t’apprécie pas en tant que joueur, la saison est longue.

Et est-ce qu’on t’explique pourquoi tu ne joues pas ?

Non, mon plus gros regret, c’est ça. Lors de sa 2ème saison au club, le coach dit qu’il a fait ses choix et qu’il laisse 4 matchs pour tester tout le monde. Je suis le seul à ne pas avoir été testé. Quand je lui ai demandé pourquoi, le coach m’a répondu : « ouai je sais, ça va être difficile ». Ce fut sa seule réponse.

Quel est le sentiment à ce moment-là ?

Un sentiment d’injustice, d’incompréhension. Tu en veux au coach puis ensuite tu te remets en question et tu te mets à bosser dur sur tes points faibles. Malgré cela, la situation n’évolue pas, tu n’es pas récompensé. Alors, tu finis par être frustré et tu abandonnes. Je me sentais pourtant tellement bien dans ce club, j’étais le joueur le plus utilisé auparavant, j’avais la confiance des entraîneurs et du président. J’ai fait une année encore mais la situation est restée la même, je suis donc allé voir le Président pour partir.

Qu’a dit le Président ?

Il était triste que je parte mais il avait envie de croire en son manager, de croire qu’il fallait évoluer, qu’il fallait du renouveau pour s’installer durablement en Top 14. Finalement, les résultats me donneront raison, ce fut la plus mauvaise année du club depuis que j’y étais et il commençait à y avoir une scission entre le staff et les joueurs, ce que je n’avais jamais connu auparavant.

Nous avions déjà eu un coach une fois qui communiquait peu avec les joueurs qui ne jouaient pas. Cependant, il avait l’honnêteté de dire que ses choix n’étaient peut-être pas factuels, selon des statistiques précises par exemple, mais qu’ils lui appartenaient. Et surtout, ce manager avait une compétence rugbystique énorme, nous étions surpris et conquis par son analyse de jeu. C’était un gars qui pouvait te dire : « Au troisième temps de jeu, il faut attaquer ce joueur ou cette zone de terrain et c’est sûr, il y aura une avancée, il y aura quelque chose à créer ». Dans 90% des cas, il ne se trompait pas. Il avait cette compétence fabuleuse alors que l’autre manager, dont je parlais avant, passait ses journées à jouer sur son téléphone derrière les poteaux, il savait à peine ce qu’était le rugby. Impossible de parler rugby avec lui alors qu’il a été capitaine de l’équipe de France. C’était un très bon joueur mais il ne savait pas retranscrire ce qu’il avait vécu. Je pense, et ce n’est que mon avis personnel, qu’il avait besoin de se créer une image et une notoriété. Il était très lisse dans ses discours envers les médias, très porté sur l’apparence et moins sur le terrain. Quand tu es jugé par une personne comme ça, c’est compliqué.

L’incompétence dans le monde du rugby y fait beaucoup, tu peux faire illusion pendant 1 an ou 2 avec ton palmarès, pas plus. C’est dur parce que ce que les gens voient de l’extérieur ne reflète pas du tout ce que vit le groupe en interne. J’ai été très triste lors mon dernier entretien avec le Président. Je n’avais pas eu d’adieu, le manager ne m’a pas fait jouer le dernier match à la maison, j’avais les larmes aux yeux et une charge émotionnelle énorme. Je pars alors à Bayonne et en milieu de saison, le manager de Bordeaux est débarqué.

« Il savait à peine ce qu’était le rugby alors qu’il a été capitaine de l’équipe de France »

Il y a quelque chose qui se perd un peu, c’est de juger la compétence au moment présent, c’est à dire qu’un très bon joueur n’est pas forcément un bon entraîneur et qu’un joueur moyen peut être un très bon entraîneur. Par le passé, ce n’est pas parce qu’un joueur n’avait pas eu une grande carrière qu’on ne lui laissait pas sa chance en tant qu’entraîneur. Si son discours était cohérent et passait bien avec les gars, alors, ça fonctionnait. Il y a aujourd’hui de la part des Présidents et des actionnaires une préférence pour des personnalités qui ont brillé par le passé, avec des discours plutôt lissés, plutôt que l’entraineur du petit village du coin qui n’a jamais rien gagné, même s’il est passionné de rugby et brillant dans ce qu’il fait.

Qu’est-ce que doit avoir un bon manager pour toi ?

En premier, la compétence. En second, être sincère et honnête, ne pas faire semblant, ne pas faire illusion. En troisième, la capacité de s’entourer pour compléter ses compétences. Il est primordial que les entraîneurs et le manager s’entendent bien et osent se dire les choses. Cela ne fonctionne pas quand les entraîneurs craignent le manager car ils n’osent pas remettre en cause ses choix, ils n’osent pas partager leur vision. De plus, les joueurs savent alors ensuite que leur voix ne sera pas relayée auprès du manager, donc cela accentue la distance et les difficultés de communication.

« La peur te fait gagner 3 matchs mais les 25 autres, tu ne les gagnes pas »

Si tu as un groupe uni et que le manager le valorise, c’est génial et c’est ce que j’ai vécu à Bordeaux. Si tu as un groupe uni mais que le manager file les pétoches à tout le monde, la peur te fait gagner 3 matchs mais les 25 autres, tu ne les gagnes pas.

La qualité d’un bon manager, c’est de savoir tirer toutes les ficelles, mais pour chaque joueur de façon individuelle. Il y a des gars, tu vas devoir leur crier dessus, il y en a d’autres, les rassurer. Et ne pas hésiter à dire au groupe comment tu fonctionnes. Tu dois prendre le meilleur de chacun pour valoriser le groupe.

Le manager doit être honnête et expliquer ses choix. Il peut très bien dire : « tu es meilleur que lui, mais je vais avoir besoin de lui dans la saison, et si je ne le fais pas jouer 2 ou 3 matchs de suite, je le perds pour la saison ». Quand tu es franc et clair, le discours passe, même si au départ, la décision peut sembler injuste aux joueurs.

Est-ce qu’on parle plus de manager ou d’entraîneur ?

Maintenant, on parle de manager. Avant, quand j’ai commencé le rugby, on avait 2 ou 3 entraineurs, dont 1 entraineur en chef. Aujourd’hui, le manager a un rôle important sur la communication, la stratégie et la vision. Il a plus de pouvoir qu’avant, il est au-dessus des entraîneurs.

Il y a quelques années, il y avait des binômes d’entraineurs et cela fonctionnait bien. Quand ils étaient complémentaires et travaillaient bien ensemble, ça marchait vraiment bien. En général, l’un prenait un peu le leadership naturellement et cela convenait à l’autre. Il y avait le gentil et le méchant ! Après, quand les résultats ne sont pas bons, cela peut mener rapidement à des conflits où les 2 donnent des directives différentes, ne sont plus en phase, se tirent dans les pattes et les gars au milieu ne savent plus sur quel pied danser.

« On perd alors notre fameux French Flair, notre capacité d’analyse en temps réel »

Aujourd’hui, le manager est au-dessus hiérarchiquement des 2 entraîneurs et peut trancher si les entraîneurs ne sont pas d’accord. C’est aussi une question de responsabilité, c’est devenu une entreprise. Le manager, c’est le chef ! Quand ça ne va pas, on se tourne vers lui au lieu d’échanger directement avec les entraîneurs. On perd alors notre fameux French Flair, notre capacité d’analyse en temps réel. C’est dommage, c’est ce qui fait la beauté d’un bon joueur de rugby. De plus, on ne parle pas à son manager comme on parle à ses entraîneurs car il y a un risque d’être sanctionné sur le terrain.

Aujourd’hui, signe que le management évolue, nous avons au sein du club un conseil des sages. Lorsque tu veux dire quelque chose, tu en fais part au conseil des sages, groupe composé de quelques joueurs référents, souvent des anciens du club, et eux, vont adopter un discours politique lissé auprès du manager. Malheureusement, ces nouvelles méthodes ne sont pas efficaces et 9 fois sur 10 ne font pas avancer les choses.

Le plus efficace reste encore de s’exprimer autour d’un repas, le discours est plus facile, franc et direct.

Peut-on manager un club dans le monde d’aujourd’hui en gardant une proximité d’entraineur avec ses joueurs ?

« Dans la culture Sud-Africaine, c’est ‘’Yes coach !’’ »

Oui absolument, j’en suis persuadé, si le manager est capable de créer et de maintenir de la confiance dans le groupe. Aujourd’hui, certains managers ont peur de cette proximité donc ils recrutent des étrangers. Les joueurs sont reconnaissants en arrivant donc ne vont pas prendre position. Il y a en plus la barrière de la langue. Et enfin, il y a un phénomène culturel. Dans la culture Sud-Africaine par exemple, c’est « Yes coach ! »

Tu parles beaucoup de la compétence rugbystique pour un manager, en quoi est-ce si important ?

A ce niveau-là, l’incompétence quand tu te retrouves face aux joueurs, tu la prends de plein fouet. Si tu n’es pas sûr, pas clair sur le rugby, c’est catastrophique. Et si en plus, tu fais des différences entre les joueurs…

Ce ne sont pas les tests physiques qui font le bon joueur de rugby. Un jour, notre manager dit à l’un de nos coéquipiers : « ce n’est pas possible, tu fais plus de 6 minutes au bronco, tu ne peux pas jouer ». Il a pourtant été élu cette année-là meilleur joueur de Pro D2 à l’unanimité.

Peut-on avoir une grande équipe sans grand manager ?

Oui, une équipe peut réussir à performer avec ses joueurs mais il y a toujours un problème de choix. Premièrement, nous sommes des groupes de 40, si tout le monde donne son avis, c’est ingérable. De plus, sur 40, tu en gardes 23, qui prend la décision pour en sortir 17 ? Sur le plan du jeu, tu peux t’en sortir en désignant 2, 3 joueurs qui trancheraient sur le terrain mais pour tout le reste, il faut ce manager, c’est impératif. Et puis, il y a toujours besoin d’un méchant dans l’histoire, après, il faut que ce méchant soit honnête !

Peut-on avoir une grande équipe sans grands joueurs ?

Bien sûr. Ça c’est certain et j’en suis humblement convaincu. C’est ce qui fait la beauté du rugby. Quand j’étais à Bordeaux, on n’était certes peut-être pas une grande équipe, mais on s’en sortait plutôt bien et tu n’en connaissais pas un ! On était une bande avec une seule ambition, celle d’y arriver. Bon, il ne faut pas non plus avoir que des chèvres… (sourire)

Qu’est-ce que peut faire un manager pour changer le cours d’un match à la mi-temps ?

Il y a plusieurs solutions, gueuler comme un veau en secouant les tables et en remuant tout, ou prendre les mecs aux tripes, parce que c’est un sport de valeurs. Nous sommes tous plus ou moins père de famille, tu peux faire prendre conscience aux joueurs de l’image qu’ils veulent renvoyer.

Mais ce qui est le plus cohérent et le plus efficace, c’est une approche technique. Parce qu’on ne fait jamais exprès de perdre, quand on n’est pas bon, on le sait, ça nous embête plus que les supporters. Donc, celui qui arrive à être froid, posé et qui arrive à t’expliquer, c‘est le meilleur. Quand il te dit que parce que l’on n’a pas fait cette stratégie, que ça, ça ne va pas, qu’on avait parlé de ceci, de cela, et qu’il arrive à te faire comprendre techniquement tes erreurs pour être meilleur, c’est terriblement efficace. Car quand tu es sur le terrain, tu es fatigué, tu manques de lucidité, tu ne te rends pas compte, tu n’as pas de recul. Enfin, ce manager doit aussi y mettre une certaine autorité, car on a tout de même besoin de ce coup de sang, de ce coup de fouet qui arrive à te remotiver.

« Les bons discours sont ceux qui s’appuient sur le contexte, sur l’atmosphère du match »

J’ai pris des gueulantes, j’ai pris des discours où j’ai eu envie de pleurer à la fin. Je me souviens d’une fois où, juste avant le match, notre entraîneur avait fait un AVC. Le contexte faisait que le discours du manager a été chargé d’émotion. Nous sommes tous sortis du vestiaire les larmes aux yeux, avec une seule idée : on n’a pas le droit de perdre ce match, c’est inimaginable. Et on a bouffé tout le monde. On avait beau se dire « on ne joue pas pour lui », « on fait abstraction », au fond de nous, nous jouions pour lui. En 3-4 phrases, notre manager a réussi à transcender l’équipe, je me souviens de ces phrases encore aujourd’hui. Les bons discours sont ceux qui s’appuient sur le contexte, sur l’atmosphère du match.

Pour la finale d’accession en Top 14 l’an passé, l’intendant du club a organisé une petite vidéo avec l’entourage des joueurs et elle nous a été diffusée la veille du match. Il y avait des moments drôles, des moments émouvants…. Puis, on nous a invité à descendre boire une bière. Cela a été l’un de nos meilleurs moments de l’année. C’est peut-être ça le petit plus qui fait que tu gagnes une finale : Contextualiser l’événement et en tirer le meilleur.

As-tu déjà eu envie de gagner ou de tout donner pour l’un de tes entraîneurs ?

A l’époque, tu jouais aussi pour ton coach. Quand j’ai démarré avec Frédo Garcia, celui qui m’a laissé ma chance en tant que pro, je jouais pour qu’il soit content de moi. Et pour moi, en plus de cela, c’était pour la fierté de mon père.

Quelle est la différence entre un bon entraîneur et un grand entraîneur ?

« Un grand entraîneur, c’est celui qui te fait évoluer, progresser et gagner »

Un bon entraîneur, c’est un entraîneur qui te fait évoluer et progresser. Un grand entraîneur, c’est celui qui te fait évoluer, progresser et gagner.

En 2016, tu rejoins Bayonne, entraîné alors par Vincent Etcheto, avec lequel tu as travaillé pendant 6 ans à l’UBB : Est-ce que la présence de ce manager a été décisive dans ta décision ?

Bien sûr. Quand Vincent m’a appelé, je n’ai pas hésité longtemps. Il y avait Vincent, il y avait le projet, et Bayonne, club avec une histoire incroyable et un public génial. Mais le personnage, oui, m’attirait à l’époque.

Penses-tu qu’un grand meneur d’homme puisse manager une équipe d’un autre sport ?

Non, parce que tu as besoin de la compétence. Claude Onesta, certainement le meilleur manager Français de sport de tous les temps, si tu lui donnes une équipe de foot, je ne suis pas sûr qu’il soit compétent. Les stratégies et la gestion des Hommes sont différentes d’un sport à l’autre et que les mœurs sont ancrées. Peut-être qu’avec une équipe de rugby, il aurait mieux réussi qu’ailleurs, car les valeurs sont plus similaires, mais il aurait vite été contraint par la compétence rugbystique pure.

Donc, même en s’entourant bien ?

Oui, ou sinon, tu prends des statisticiens, des informaticiens et tu joues à Football manager.
J’ai déjà eu un entraineur qui n’avait jamais joué au rugby de sa vie. La technique qu’il nous enseignait pour plaquer nous semblait pour le moins originale, mais nous essayions d’y croire. A l’arrêt, sa technique de jujitsu pouvait fonctionner mais en vitesse réelle dans le jeu, tu prenais de ces soleils ! Le jour où nous avons appris qu’il n’avait jamais joué au rugby, plus personne ne l’a écouté.

Aimerais-tu entraîner un jour ? Quelles compétences te seraient nécessaires ?

Oui pourquoi pas. Des compétences sur le management c’est sûr, car c’est facile de critiquer quand tu es en bas mais de l’autre côté, c’est un peu plus compliqué. Tes choix sont subjectifs et il faut arriver à les rendre objectifs. Et puis, je souhaiterais élargir mon spectre de compétences. Je suis compétent sur le jeu d’avant, moins sur le jeu de ¾.

Si on te donne les clefs d’une équipe de Top 14, que ferais-tu la première semaine ?

Test physique le 1er jour car c’est dur pour les joueurs, ça stress, et le lendemain, ou le soir même, soirée avec les joueurs, histoire que tout le monde se libère, apprenne à connaître les étrangers…etc.

Il y a quelque chose que j’aimais beaucoup aussi, à Bordeaux. Avant chaque entraînement, on démarrait par des jeux, un toucher par exemple, cela créait quelque chose entre nous. On rigolait et quand le coach te disait « allez maintenant on arrête », on se mettait au boulot sérieusement. Ça s’est perdu. Maintenant, c’est la rentabilité, il faut courir pour courir…etc. Je remettrais ça en place.

Quels profils recruterais-tu ?

Je garderais d’abord le noyau du club. Il y a une période nécessaire à l’analyse des joueurs et il est primordial de comprendre également le moule du club. Ensuite, je recruterais des joueurs qui soient capable d’intégrer ce moule et qui partagent tes valeurs. Pas forcément des stars mais des joueurs qui sont en adéquation avec le groupe.

« Il a voulu tout révolutionner, il a fait couler le club en 2 ans »

J’ai eu un manager à Bordeaux qui est parti dans un autre club. Il a voulu tout révolutionner, il a fait couler le club en 2 ans. Il s’est mis tous les joueurs à dos, ils sont descendus en Pro D2, il a été viré. Le club est toujours en Pro D2 depuis et a du mal à se remettre de cet épisode.

Est-ce qu’on gère une « star » comme on gère un joueur moyen ?

Non. Il y a un jour une star qui est arrivée à Bayonne. Il était international de rugby Français et 1er salaire du club. Il arrivait en retard 1 jour sur 2, ne venait pas toujours à l’entraînement…etc. Et bien, il a eu certains passe-droits. Cela flingue un groupe. Nous aurions fait ¼ de ce qu’il a fait, nous aurions été virés.

Et ce joueur n’a pas été recadré ?

Si, mais du coup, il n’est plus du tout venu s’entraîner. Alors, le manager et le Président ont cédé. Dès lors, la gestion du groupe devient difficile. Et les différences s’accentuent en fonction de la culture et de la personnalité des uns et des autres. Si tu reprends un Sud-Africain parce qu’il est en retard à l’entraînement, il te dit « Yes coach, sorry coach ». Si tu reprends un Français un peu grande gueule, il te dit que tu ne dis rien à untel ou untel, donc que tu n’as rien à lui dire non plus.

« Je crois qu’on ne devrait jamais transiger sur les règles de vie de base d’un groupe »

Je crois qu’on ne devrait jamais transiger sur les règles de vie de base d’un groupe. S’adapter à chaque joueur ne veut pas dire laisser tout faire.

Quelles sont pour toi les valeurs du rugby ?

Entraide, tolérance, combattivité, camaraderie.

Ces valeurs ont-elles évolué depuis que tu as commencé ?

Énormément, dans le sens du professionnalisme. Avant, tu faisais une carrière en fonction d’un club, aujourd’hui, tu crées ta carrière et les clubs choisissent ou non de te prendre. Avant, même si un joueur n’était pas le meilleur mais que dans la vie de groupe il passait bien et bonifiait le groupe, alors il avait sa chance, aujourd’hui, c’est plutôt données GPS et statistiques.

« Aujourd’hui, c’est plutôt données GPS et statistiques »

Ces évolutions vont-elles dans le sens de la performance ?

Oui et non. A chaque fois, il y a des exemples et des contre-exemples. Le Toulon des années 2010 n’a recruté que des stars et ils ont marché sur le rugby Français et Européen pendant plusieurs années. Et tu as des clubs comme Castres ou Brive qui eux, fonctionnent avec plus de valeurs humaines et des joueurs moins côtés. Ils ont aussi eu des titres et quand tu les vois jouer, tu sens que le groupe vit bien. Ce n’est pas juste une addition d’individualités.

Peut-on parler de bienveillance dans le milieu du sport professionnel ?

Les clubs nous mettent dans les meilleures dispositions avec un objectif unique : la performance. Je ne sais pas si on peut parler de bienveillance.

Qu’est-ce que l’esprit d’équipe pour toi ?

L’entraide. C’est apporter de manière individuelle tes qualités à l’équipe pour que celle-ci soit plus performante. L’esprit d’équipe se construit de façon saisonnière en fonction du turnover. Quand tu démarres la préparation physique, tu ne connais pas les joueurs, il faut que tu arrives à inculquer un objectif commun et une manière de vivre commune aussi. Chaque club a sa façon de vivre, de rigoler. Il faut que tu arrives à intégrer tout le monde dans un schéma commun qui plaît à tous. C’est cet esprit-là, plus saisonnier, qu’il faut arriver à faire grandir et qui fait pour moi l’esprit d’équipe. Tu as envie de te dépasser parce que tu vas retrouver ce cocon où tu es bien dans le vestiaire. Parce que tu auras fait un bon match et tu auras apporté à l’équipe, tu auras du plaisir derrière pour mieux profiter. L’esprit d’équipe va te permettre de poser les bases de cet esprit saisonnier.

« L’esprit d’équipe, c’est apporter de manière individuelle tes qualités à l’équipe pour que celle-ci soit plus performante »

L’entraide, c’est facile à dire mais plus compliqué à mettre en place. L’esprit d’équipe commence dès le début, dès le déménagement par exemple. Quand ton camion plein arrive, tu es content d’avoir 3 ou 4 copains pour t’aider. Tu fais plaisir, tu crées un lien et tu commences à connaitre l’autre.

Est-ce quelque chose de naturel ou quelque chose qui se travaille ?

Il y a une base naturelle. Si tu n’as pas envie d’aider ton copain, alors tu resteras dans ton coin. Après, ça se travaille bien sûr et surtout, ça évolue. L’esprit d’équipe quand j’ai commencé à Bayonne n’était pas du tout le même que celui de la fin. La définition théorique de l’esprit d’équipe te donne les bases pour créer ton propre esprit d’équipe. Parfois, on parle de groupe, et parfois on parle d’équipe. Pour nous, ce sont 2 notions importantes et bien distinctes. On peut avoir un groupe et ne pas avoir d’équipe. Dans certains clubs de stars, c’est un peu le problème, ils achètent des groupes mais pas d’équipes et c’est pour ça qu’ils arrivent à perdre contre des plus petites équipes.

Est-ce qu’il est indispensable que le groupe vive bien ensemble pour obtenir des performances ?

Si tu as les stars du championnat, non. Si ce n’est pas le cas, alors oui.

« Parfois, on parle de groupe, et parfois on parle d’équipe. Pour nous, ce sont 2 notions importantes et bien distinctes. On peut avoir un groupe et ne pas avoir d’équipe »

A l’UBB, tu étais un pilier du club, un des plus anciens, quel a été ton rôle ?

Ma force, et ce qui a fait que je pense avoir été apprécié de mes coéquipiers, c’est d’avoir eu un rôle tampon car je ne suis pas un garçon colérique. Tout le monde pouvait me parler et c’est ce rôle en dehors du terrain qui me plaît. Lorsqu’il y a un barbecue à faire, je suis toujours le premier à me mettre aux fourneaux, j’ai à cœur que tout le monde se sente bien. C’est toujours agréable de voir les copains rigoler et quand tu sais que tu as pu participer au confort de vie des copains en dehors du terrain, c’est gratifiant. Avec mes armes, mon rôle était de fédérer autour du club. A mon sens, la vie de groupe à l’extérieur, c’est là où tu peux le plus progresser. Pour l’entraînement, tu as des coachs et des managers. Tu as aussi des joueurs qui sont des performers, qui ont besoin de ça et qui le font naturellement. Moi, ce n’était pas mon cas, là où je pouvais le plus aider, c’était dans l’extra sportif.

Un rôle de tampon ?

Ce qui est difficile à gérer en tant que coéquipier et joueur, ce sont ceux qui jouent et ceux qui ne jouent pas. Moi, j’ai connu toutes les cases, je l’ai vécu des deux côtés. Ton concurrent à ton poste devient un ami avec le temps, c’est délicat. Et toi quand tu ne joues pas, tu as les dents qui rayent le parquet. Tu donnes tout à l’entraînement et les titulaires râlent un peu, te disent que tu y vas trop fort car ils jouent un match dans deux jours. Avoir ce rôle-là, je n’y suis pas toujours arrivé car quand tu ne joues pas, tu n’as pas forcément envie. Mais en général, j’essayais au maximum de temporiser, de tempérer un peu tout le monde. A Bordeaux, c’était plus facile parce que je jouais tout le temps.

Et le fait d’être bienveillant avec tes coéquipiers a-t-il été un atout pendant les périodes où, à ton tour, tu jouais moins ?

Oui c’est le karma ! J’avais des copains qui jouaient, j’étais quand même content d’aller les voir jouer et de leur rendre service à l’entraînement. Par exemple, à mon poste, la phase de jeu phare pour un jeune avant est la touche. Physiquement, je n’étais pas fait pour ça mais j’ai toujours bien compris la touche. Avec mes armes, j’ai réussi à me bonifier presque au maximum. En ayant galéré dans ce domaine, j’ai plein de petits conseils à donner aux jeunes, j’ai pu partager les armes qui m’ont fait progresser. Ça c’était important pour moi, surtout à l’Aviron.

Ces jeunes d’une autre génération étaient-ils preneurs de cela ?

Il y a eu deux générations pour moi. Il y a 5-6 ans, il y avait cette génération qui avait tout compris avant tout le monde et qui s’en fichait. Depuis 3-4 ans, il y a une génération très à l’écoute, très ouverte, très respectueuse. Il y a eu un changement de comportement. C’est ainsi que je l’ai perçu en tout cas. Était-ce parce que j’étais plus vieux et plus tolérant ? Ou était-ce parce que j‘étais plus vieux et que j’étais plus respecté ? (rires)

As-tu eu le même rôle à Bayonne qu’à Bordeaux ?

Pas du tout. Cela rejoint un peu l’esprit d’équipe. Quand il y a besoin de prendre un rôle et que cela te correspond, tu y vas, mais s’il n’y a pas besoin, tu ne le fais pas. Et puis au début, tu as toujours 1 année ou 2 à faire tes preuves. Tu ne t’imposes pas en tant que leader d’une équipe. Ce n’est pas parce que tu as joué 10 ans en Top 14 que tu vas être le leader de l’équipe. A mon sens, il faut gagner le respect de tes coéquipiers, ça me paraît essentiel. Tu as beau avoir le respect de tes coachs, si tu n’as pas celui de tes coéquipiers, ça ne sert à rien de jouer.

« Tu as beau avoir le respect de tes coachs, si tu n’as pas celui de tes coéquipiers, ça ne sert à rien de jouer »

Quand tu arrives dans un nouveau club, y a-t-il des codes à respecter, une façon de faire ?

Quand je suis arrivé à Bayonne, je suis un peu resté dans mon coin, j’ai vite senti les 5-6 garçons avec qui j’allais avoir des affinités. Au départ, tu restes un peu en retrait, tu ne parles pas. Un droit de parole, ça se gagne aussi je pense. Une fois que tu as fait tes preuves sur le terrain, les portes s’ouvrent plus facilement.

Est-ce important que le club ait une histoire ?

Une histoire, j’ai envie de dire non. Après, cela joue forcément. Dans la motivation, cela joue. Plus l’histoire est grande, plus le poids du maillot est lourd. Bayonne, c’est un club qui fait rêver les joueurs pour plein de raisons et il y a une véritable fête autour du rugby. A Bordeaux, dans un discours d’avant match, on m’a dit : « Ce maillot, tu n’es pas le premier à le porter, et t’as des mecs avant toi qui ne s’en sont pas sortis. Et puis, il y en a d’autres qui ont prouvé qu’ils avaient le droit de le porter ». C’est sûr que cela motive encore plus. A l’UBB, il y a un glorieux passé sportif. Et puis, Bègles, c’est une petite ville qui n’a pas eu toujours beaucoup d’argent, avec une importante classe ouvrière. Tu avais ce devoir pour cette classe un peu modeste d’être performant le week-end, car avant toi, leurs parents ou eux même avaient porté ce maillot. Et ils l’avaient porté avec deux fois rien, avec des moyens nettement inférieurs à ceux d’aujourd’hui. Toi, on te met tout le confort nécessaire pour que tu puisses y arriver. C’est comme ça que je le ressentais à l’époque.

Qui prend la parole dans le vestiaire ? Y a-t-il une forme de hiérarchie ?

Généralement, le capitaine parle. Ensuite, des joueurs qui ont envie et besoin de le faire. Ce sont souvent des joueurs à des postes clefs. Souvent, ce sont les talonneurs. Depuis que le rugby existe, ils sont là pour gueuler sur les autres, avec les numéros 9. Après, il faut le sentir. J’ai déjà vu des joueurs commencer à parler, et très vite, il y en a un qui est venu lui mettre la main sur l’épaule en lui disant « tais-toi, ce n’est pas ton rôle ». Pour parler, il faut être exemplaire. Quand quelqu’un parle dans le vestiaire, c’est pour la motivation des gars, donc il faut aussi être capable de le faire et de remotiver en quelques minutes. Il y a également des matchs où personne n’a jamais rien dit.

As-tu toujours eu envie d’écouter le capitaine ?

Pas toujours. Un capitanat, ça se mérite. Comme c’est le coach qui le donne, si ce n’est pas validé par le groupe, c’est compliqué. Mais tu fais avec, c’est comme ça. Et c’est pour ça que c’est important que le coach soit proche des joueurs. S’il a quelques joueurs de confiance, il peut prendre la température auprès d’eux concernant son choix de capitanat. Mais peu sont capables de le faire.

Par contre, une fois sur le terrain, le capitaine, c’est le capitaine.

Est-ce que ce sont les mêmes joueurs qui sont influents dans le vestiaire et sur le terrain ?

Globalement oui. Cela relève de la personnalité de chacun.

Quel est le type de joueur que tu écoutes vraiment et pour qui tu te défonces sur le terrain ?

Pour les plus vaillants. Les mecs rugueux qui se donnent et mettent du cœur à l’ouvrage.

J’imagine que ce n’est pas le monde des bisounours, ce n’est pas qu’une bande de copains ?

Oui, comme dans la vie de tous les jours, il y a des personnes avec qui tu as plus ou moins d’affinités. Mais cela n’a pas d’impact sur le jeu. C’est trop rapide pour réfléchir à qui tu fais la passe, tu le fais au feeling. Là où cela a un impact, c’est sur l’analyse d’après match. Ton jugement est différent si l’erreur vient d’un copain ou d’un joueur avec qui tu t’entends moins bien.

« Sur l’analyse après match, ton jugement est différent si l’erreur vient d’un copain ou d’un joueur avec qui tu t’entends moins bien »

As-tu déjà eu à vivre des moments où l’équipe n’était pas unie ?

J’ai vu une équipe devenir un groupe et c’est affreux. C’était une année cauchemardesque où nous prenions défaite sur défaite. Tu perds l’adhésion de tout le monde et tu ne trouves pas de solution. Tu t’entraînes deux fois plus et ça ne marche pas. Tu ne pardonnes rien à tes coéquipiers, tu es plus dans le reproche que dans l’entraide. Quand tu mets en garde ton coéquipier sur son attitude ou son jeu lors de la prochaine mêlée, tu te dis que tu as passé un cap au niveau du mental.

Comment avez-vous réussi à sortir de cette situation cauchemardesque ?

A un moment donné, nous avons dit stop, nous, les joueurs. Nous recommencions une nouvelle saison comme celle que nous venions de finir, en enchaînant les défaites sur des scores fleuves. Au bout de 3 mois, notre nouveau manager était perdu et ne comprenait plus rien. Nous avons pris en main les analyses vidéo, les entraînements, les schémas de jeu. Nous avons eu l’adhésion de nos 2 entraîneurs, et notre manager lui, n’a plus eu d’influence sur le terrain. Et nous avons fait une très belle fin de saison.

Quand vous reprenez le jeu à votre compte, sur quoi vous appuyez-vous ?

Le terrain ! Nous avons tout simplifié. Nous ne jouions plus un ballon dans notre camp. Sur 3-4 matchs, tu reprends la confiance puis tu complexifies petit à petit. Nous ne faisions rêver personne, des coups de pieds dans tous les sens, les gros devant… mais ça nous suffisait pour gagner. C’était un rugby qui se pratiquait il y a 20 ans. C’est efficace mais c’est vilain.

Comment gère-t-on les différentes cultures au sein d’un groupe où cohabitent plusieurs nationalités ?

Il y a bien sûr des journées de cohésion. Après, cela vient surtout de la tolérance du groupe envers les différences culturelles. Par exemple, certaines nationalités ont l’habitude de prendre leur douche en caleçon, c’est ainsi, et tant mieux si c’est comme cela qu’ils sont à l’aise. On fait aussi attention aux différences culinaires en fonction des religions. Et puis, il y a quelque chose qui rassemble tout de même tout le monde, c’est le sens de la fête ou le plaisir de partager un verre.

« Il y a quelque chose qui rassemble tout de même tout le monde, c’est le sens de la fête ou le plaisir de partager un verre »

Tous les moments en dehors du terrain sont facteurs de cohésion. Certains managers le comprennent très bien et encouragent ces moments. Ils approuvent leur organisation ou en sont même à l’origine. Cela soude le groupe, peu importe les différences culturelles. En revanche, d’autres trouvent toujours une excuse pour ne rien organiser et c’est néfaste pour la vie de groupe. A chaque fin de stage de pré-saison, dans tous les clubs, il y a une soirée de clôture. J’ai connu un seul manager qui ne voulait pas les faire. Cela frustre le groupe réellement. On a besoin de vivre des moments de partage, de manger une belle côte de bœuf – frites. Il se trouve que ce manager précisément, réservait toujours dans des lieux peu sympathiques et nous faisait manger des carottes râpées, du poulet, des pâtes et de la salade.

Le niveau salarial est-il une source de motivation ?

Oui, bien sûr. Et puis, cela t’offre une certaine compensation. Quand tu sors d’une carrière de rugbyman professionnel, tu n’es pas en bonne santé, et je suis bien placé pour le dire. Tu y laisses quand même quelques plumes. Le salaire peut te permettre de prévoir un petit peu l’après rugby. Celui qui veut être plombier par la suite par exemple, je lui tire mon chapeau, car se mettre à 4 pattes, c’est compliqué.

Est-ce que plus tu es payé, plus tu es bon ?

Non ! Tu peux promettre une grosse prime à une équipe pour qu’elle l’emporte, cela dépendra de sa capacité de départ à gagner et à être plus forte que l’adversaire. Même si elle réussit à élever son niveau de 10%, cela ne suffira peut-être pas.

Quels autres leviers peut-on utiliser pour motiver une équipe ?

Supprimer ces avantages qui te sont accordés ! (rires) Je l’ai connu à Bordeaux. Puisque les résultats n’étaient pas là, et bien, au lieu d’aller au Mercure ou au Novotel, ce fut le Campanile. Là, tu réalises que tu étais bien dans l’hôtel d’avant. Et bien, mine de rien, regain de motivation général, suffisant ! On nous a aussi supprimé parfois le repas mensuel qui nous était offert à tous. Quand tu es dans un certain confort, il y a une forme d’habitude qui s’installe. Cependant, les avantages ne sont jamais acquis au rugby.

Mais pourquoi parfois, nous avons le sentiment que des joueurs ne donnent pas le maximum ?

Parce que nous ne connaissons pas le contexte, nous ne savons pas ce qu’il se passe en interne, nous ne savons pas si l’équipe a passé une bonne semaine, nous ignorons l’état de leur relation avec le coach…etc. Tout ce que nous avons évoqué depuis le début de l’interview entre comme facteurs dans le match.

Quelle est la différence entre la vie en équipe de France et la vie en club ?

« Plus tu t’approches de l’excellence, plus ça devient naturel »

Je n’ai fait que les équipes de France jeune mais tout le monde se connaissait très bien. On a grandi ensemble, on se jouait tous les week-ends, donc c’était assez facile. Cependant, il y a une fierté car c‘est l’équipe de France, tu as le devoir de bien faire. Tu es entouré de ce qui se fait de mieux de ta génération. Tu y vas pour performer, tu sens que tous les détails sont importants, que l’exigence est plus grande, que c‘est un autre niveau. Et donc, tu élèves ton propre niveau. Tout va plus vite, certes mais tu en fais partie, tu es tiré par l’équipe. Plus tu t’approches de l’excellence, plus ça devient naturel.

Dans le futur, qui gagnera ? Quelles seront les équipes au top et pourquoi ?

Difficile de le dire mais la tendance tout de même va vers les clubs des grandes villes. De par le format des compétitions et le nombre de matchs, les clubs qui arriveront à exister seront ceux qui auront 2 équipes complètes, donc financièrement, il faut être puissant. Sur les villes moyennes, elles devront probablement fédérer plusieurs clubs autour d’un projet commun régional, sinon, ça va être compliqué je pense.

Quelles sont les équipes à suivre cette saison ?

Bayonne et Bordeaux ! Comme ça, je ne me fâcherai avec personne (sourire)

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