Interview d’Anémone Anthon

par | Nov 2020

Pour comprendre la success story d'Albertine, il fallait interviewer... Anémone ! C'est effectivement l'une des 2 fondatrices de la célèbre marque de maillot de bain et de lingerie, devenue une référence en une dizaine d'années seulement. Retour sur le parcours d'Anémone, entrepreneuse hors pair, attachée au lifestyle de la côte ouest et à ses fortes valeurs familiales.

J’ai eu le plaisir d’interviewer Anémone Anthon, co-fondatrice avec sa sœur Caroline, de la marque de maillot de bain et de lingerie, Albertine. Cette personnalité du monde de la mode est absolument géniale, décalée et tout à fait inspirante ! Son parcours, c’est avant tout une histoire familiale, mais c’est aussi un mélange magique d’entreprenariat, de création, de valeurs, d’attitudes, de partage, de plages et de soleil !

Anémone nous raconte le chemin qui l’a mené jusqu’ici, comment Albertine est devenue en quelques années incontournable dans le milieu de la mode et sur les plages du monde entier. Elle nous livre également ses réflexions, ses doutes et ses fiertés, tout en nous parlant de son management et de sa relation privilégiée avec ses clientes.

Quelle est ton histoire perso ? Qu’est-ce qui t’a amené jusqu’à Albertine ?

J’ai un parcours assez atypique je ne viens pas du monde du textile. J’ai fait un lycée cinéma, audiovisuel, puis je suis parti un an aux États-Unis. Ensuite, j’ai fait une faculté de cinéma à Paris 8 et enfin, une école de communication. J’ai été embauché à l’issue de mon stage de fin d’études dans une société d’audiovisuel. C’était à la grande époque de la télé, dans une entreprise dirigée par Marc-Olivier Fogiel. J’ai été assistante de production puis je suis passée côté rédaction. Je travaillais sur différentes émissions de télévision. Cela a duré environ 4 ou 5 ans avec un statut d’intermittent du spectacle, ce qui n’est pas toujours simple. Par la suite j’ai travaillé dans des agences de publicité et de communication. À cette époque-là, ma sœur, qui elle, avait fait des études de marketing et de finance, s’est retrouvée entre 2 boulots, et commençait à penser à faire autre chose. Nous sommes très proches avec ma sœur et il nous arrive bien sûr de refaire le monde. Un jour, lors d’une discussion pas très sérieuse ni formelle, nous avons évoqué l’idée de monter quelque chose ensemble. 

Et comment ce « quelque chose » est-il devenu Albertine ?

Et bien, nos parents, plus précisément, notre papa et sa famille depuis 4 générations, était dans le textile puisqu’ils avaient une usine de corseterie et bonnèterie qui date du début du siècle. Mon arrière-grand-père avait monté cette usine dans la Drôme à Valence. Il y avait beaucoup d’usine de textile à l’époque autour du Rhône. Mon père, quand il reprit l’usine, fabriquait donc cette lingerie des années 50. Mon grand-père s’appelait Albert, d’où la marque Albertine.

« Mon grand-père s’appelait Albert, d’où la marque Albertine »

Au début des années 90, soit une vingtaine d’années après que mon père ait repris, on était en pleine désindustrialisation de la France, ce qui explique à mon sens la situation catastrophique d’aujourd’hui. Les marques pour lesquelles on travaillait sont partis produire ailleurs, c’est à dire en Chine ou dans le bassin méditerranéen. L’usine a fait faillite. A l’époque, mes parents avaient envisagé de réduire la capacité de production en France et de s’associer avec des usines en Algérie et pour diverses raisons, cela ne s’est pas fait. Il était dès lors impossible d’être concurrentiel en restant en France. 

Tes parents avaient-ils leur propre marque ?

Oui. Ils fabriquaient beaucoup pour des marques de l’époque comme Daniel Hechter, Chantal Thomass et ils avaient aussi leur propre marque qui s’appelait ANYREX. Mais, pour plein de raisons, ils n’ont pas pris le tournant qu’il fallait et ils ont fermé les portes. Le contexte était totalement différent de celui d’aujourd’hui et je ne sais pas comment j’aurai fait à leur place. Quoi qu’il en soit, nous avons vécu cela avec ma sœur.

Comment l’avez-vous vécu ? Y avait-il de l’amertume en vous ?

« On a été totalement inconsciente »

C’est vrai qu’on y repensait avec ma sœur mais s’il y avait de l’amertume, alors elle était inconsciente. D’ailleurs très honnêtement, on a été totalement inconsciente.

De se lancer là-dedans ?

Oui, aujourd’hui, je ne le referai pas avec ce que je sais désormais. Cette part d’inconscience était essentielle pour se lancer dans un métier qu’on ne connaissait pas, nous n’avions aucune base. Après, il y a plein de choses qui font que nous sommes là aujourd’hui et qui font que nous sommes très fières d’être là avec ma sœur.

Et vous avez démarré en faisant de la lingerie vous aussi ?

Non, car nous savions très bien que la lingerie, c’est ce qu’il y a de plus compliqué à fabriquer dans le textile et que nous n’avions ni les connaissances ni le réseau. De plus, nous n’avions plus rien de l’usine. Donc, nous avons fait des maillots de bain. D’une part, cela reprenait tout de même l’histoire familiale et d’autre part, il y a 15 ans, pour être très schématique, il y avait Eres et La Redoute mais pas grand-chose au milieu, il n’y avait pas vraiment de marques sympas. Et d’ailleurs, dans le marché aujourd’hui, nos marques concurrentes se sont toutes crées à peu près à ce moment-là. Il y avait donc un vrai créneau. 

« Aujourd’hui, tu sors d’une école de commerce et si tu as une ‘âme d’entrepreneur’, tu peux y aller. »

Aujourd’hui, nous sommes nombreux et surtout, de plus en plus nombreux. Le business a vraiment changé avec le digital. A l’époque, il fallait être inconscient pour monter une marque et aller dans le bain et la lingerie. Aujourd’hui, tu sors d’une école de commerce et si tu as une « âme d’entrepreneur », tu peux y aller.

Et alors, les débuts ?

On s’est lancé avec un tout petit réseau, une copine d’une copine qui connaissait une nana qui s’occupait d’usines au Portugal. Ma sœur et moi avions quelques milliers d’euros mais quand je repense aux montants, c’était totalement anecdotiques. On a donc planché sur le projet et mon copain de l’époque, Nicolas, qui est aujourd’hui mon mari, était un peu du milieu puisqu’il était graphiste et styliste, connaissait le milieu du textile…etc. Cela nous a beaucoup aidé. Et ce qui est très important, c’est que c’est encore une histoire familiale. Je pense que c’est ce qui fait qu’Albertine a cette âme là aujourd’hui. Donc, nous voilà partis au Portugal pour produire une petite collection de maillots de bain que nous avons financée avant même de la vendre. Aujourd’hui, dans un business, tu ne fais pas cela, d’abord tu commercialises puis tu fais fabriquer. Nous, nous devions bien démarrer d’une façon, donc nous avons choisi cette option. 

Et cette première collection, c’est vous qui l’avez dessiné ?

Oui, dès le départ avec l’aide de Nicolas, nous avions nos envies, nos couleurs et il nous a fait des fiches techniques. Ce n’était pas trop compliqué, nous avions des bases assez simples. Notre plan était d’organiser des ventes chez les uns, chez les autres, de monter des petits évènements, de voir si ça prenait, et si c’était le cas, alors, nous adopterions un chemin plus classique en allant démarcher des boutiques. Nous avons tout de suite eu de supers retours de nos copines. Alors, nous avons fait une deuxième collection. C’est à peu près à ce moment-là que nous décidons avec Nicolas de partir vivre à Biarritz. Je quitte mon travail de l’époque en agence de pub et on arrive ici alors que je connaissais pas du tout la région. C’était l’opportunité de se lancer à fond sur Albertine.

Est-ce que la marque avait déjà cet esprit un peu surfwear ?

Non pas du tout. Il y avait juste l’envie de faire quelque chose qu’on ne voyait pas et que nous avions envie de voir. Albertine est tellement familiale que le personnel et le professionnel se mélangent. Et en fait, au même moment, le mari de ma sœur se fait muter en Guadeloupe. Donc, sans le vouloir, nos vies personnelles sont venues inspirer Albertine. Ma sœur vivait en maillot 24h/24 et moi, j’habitais Biarritz. Ce sont donc ces années-là et nos vies qui ont insufflé à la marque ce qu’elle est aujourd’hui.

« Nos vies personnelles sont venues inspirer Albertine. Ma sœur vivait en maillot 24h/24 et moi, j’habitais Biarritz »

Étiez-vous déjà fan de mode ?

« Nous, c’était vraiment : Pas de vision »

Oui, nous avons toujours aimé ça. Après, fan est un bien grand mot, je n’ai jamais été fan de qui que ce soit ou de quoi que ce soit. J’ai toujours été curieuse de tout. Ma mère aimait beaucoup les vêtements, la peinture, la déco et elle nous a éduqué là-dedans. J’étais loin d’imaginer que tout cela ferait partie d’Albertine, que nous en serions là où nous sommes aujourd’hui. Et c’est là où je trouve que notre histoire est singulière. Nous étions loin de ce qui peut parfois se pratiquer dans le monde actuel, c’est à dire un projet ficelé, marketé, accompagné par des levées de fond, des prévisionnels, et éventuellement l’ambition d’une revente à prix d’or. Nous, c’était vraiment : Pas de vision. Bien sûr, nous ne le disions pas. Mais je crois beaucoup au management par l’intuition et je crois que notre inconscience est devenue une forme d’intuition. Et aujourd’hui, l’intuition, on en a conscience. Et, c’est devenu l’ADN de notre marque. C’est un peu comme cela que l’on communique, on ne se prend pas trop au sérieux, on essaye de faire un pas de côté par rapport au milieu de la mode, même si évidemment, je ne vis pas dans un monde de Bisounours. Et donc, de temps en temps, dans nos process, nous devons tout de même nous caler par rapport à un cahier des charges. 

Quels autres éléments vous différencient des autres marques ?

Nous n’avons jamais mis plus d’argent. Nous nous sommes toujours autofinancés et donc, c’est long. Tu ne fais pas des choses rapides sans argent mais cela nous plaisait bien. Bien sûr, au début, nous ne nous payions pas. Nous avions d’autres boulots à côté pour payer les factures. Nous avons eu cette chance de pouvoir le faire assez longtemps, et du coup, cela a permis de rendre la marque solide. Il a fallu au moins 4 ou 5 ans avant qu’une collection puisse financer la suivante. 

Et à quel moment s’est fait la bascule, à quel moment la marque prend réellement son envol ?

C’est au bout de la cinquième année. En étant très inspirée par ma vie ici, il y a des choses qui ont basculé, notamment sur la communication. Nous avons lancé un maillot de bain avec une photo de Biarritz. A l’époque, la côte ouest n’était pas forcément hyper à la mode, cela commençait seulement. Il y a donc eu un alignement des planètes entre cette idée farfelue de mettre une photo sur un maillot, que cette photo soit la grande plage de Biarritz et que Biarritz devienne un endroit sympa et un peu fashion. Nous ne l’avions pas prémédité, c’est vraiment un alignement de chose qui fait que d’un coup, il y a un truc qui prend et qui devient un peu magique. Là, nous avons commencé à communiquer sur Albertine. Nous n’étions pas encore dans l’ère Instagram, les choses ont beaucoup changé depuis. Ensuite, d’année en année, la marque a pris un peu plus d’ampleur.

« Il y a donc eu un alignement des planètes entre cette idée farfelue de mettre une photo sur un maillot, que cette photo soit la grande plage de Biarritz et que Biarritz devienne un endroit sympa et un peu fashion »

« D’un coup, nous étions au milieu des autres marques, des vraies marques »

Au début, je me souviens, je partais avec ma valise et mes maillots et j’allais frapper aux portes des magasins. On était plutôt bien accueilli parce que c’était sympa de trouver une nouvelle marque. Nous n’avions pas de pression, nous n’avions pas de charges incroyables, nous retombions sur nos pattes. Et quand la communication est arrivée, il y en a eu de plus en plus sur nous, les choses se sont accélérées. On a vendu plus et on a pu participer à un salon professionnel, où nous avons présenté la collection à des acheteurs. Cela nous a beaucoup aidé. D’un coup, nous étions au milieu des autres marques, des vraies marques. Nous avons gagné en visibilité et nous avons eu de plus en plus de revendeurs. A ce jour, nous sommes revendus dans environ 80 points de vente en France et à l’étranger.

Quand avez-vous ouvert votre première boutique ?

Après les 5 premières années pendant lesquelles le projet prenait forme et s’affinait, j’ai pu me salarier, et nous avons eu l’opportunité d’avoir une boutique à Biarritz. Ce fût une autre marche de franchie. Nous avions pignon sur rue ! J’étais à la fois vendeuse et chef d’entreprise.

Quel est l’esprit des boutiques ?

L’idée de nos boutiques était d’amener la plage et le soleil (on n’a pas mis du sable !). Il fallait que ce soit chaleureux avec une ambiance plage, lifestyle, que tu te sentes bien et que ce soit joyeux avec de la couleur.

« Si tu fermes les yeux, tu sens la chaleur du soleil sur ton épaule et tu as cette odeur de monoï et de crème solaire qu’on trouve sur les plages »

L’esprit des boutiques, c’est donc un endroit joliment décoré où l’on sent la chaleur de l’été. Si tu fermes les yeux, tu sens la chaleur du soleil sur ton épaule et tu as cette odeur de monoï et de crème solaire qu’on trouve sur les plages.

Y a t’il l’ambition d’ouvrir d’autres boutiques ?

Il y a eu… Pourquoi pas ? C’est une réflexion que nous avons mais surtout la question en ce moment est : Pourquoi ? Avoir un flagship à Paris, pourquoi ? Il doit y avoir une vraie valeur ajoutée. Alors, des pop-up stores à Paris, pourquoi pas, nous ne l‘avons jamais fait. Après, je pense surtout au local et à la proximité, donc, dans ce cadre-là, une boutique à Bordeaux pourrait avoir du sens mais pas maintenant, pas tout de suite..

Quelle a été l’importance d’internet dans votre développement ?

Nous avons toujours eu notre site internet, dès le départ. Et cela a aussi été notre force. Dès le moment où nous avons créé la marque, dans la cuisine de chez ma sœur à Paris, nous avons eu le site internet. Mon mari savait faire des sites internet et c’est lui qui l’a créé et animé. Nous étions donc autonomes.

Y avait-il alors des ventes en ligne ?

Elles étaient anecdotiques mais elles portaient la marque. Et en fait, quand le monde du digital s’est enflammé dans le milieu de la mode, nous avions déjà une longueur d’avance. Certaines marques, certaines boutiques n’avaient pas encore de site.

Aujourd’hui, quel est le % de vos ventes en ligne Vs. vos ventes en boutique ?

60% de nos ventes sont faites en ligne sur notre site internet et 40% dans le retail (nos 2 boutique) et chez nos revendeurs.

Comment organisez-vous votre logistique ?

Tout est fait en interne. L’externalisation coûte très cher. Cependant, nous ne pouvions pas continuer à le faire toutes un peu, chacune notre tour, vu l’évolution des ventes Donc, nous avons fait le choix d’embaucher quelqu’un pour s’occuper des commandes car c’est un job à part entière. De plus, il y a un aspect essentiel lié aux commandes, c’est le SAV. 

Aujourd’hui, il y a une concurrence exponentielle sur le SAV et c’est le nerf de la guerre sur internet. Il est impossible d’arriver à la cheville des gros faiseurs type Zara et la cliente s’est habituée à un SAV d’une qualité, d’une efficacité et d’une rapidité qui parfois te laisse sans voix. Alors, heureusement, nous avons ce capital sympathie qu’on a réussi à créer autour de la marque qui fait que nos clientes sont compréhensives. 

« Le digital nous fait parfois oublier que derrière une commande, ce sont de vraies personnes humaines. Chez Albertine, il n’y a pas de robots »

Malgré tout, c’est un sujet très complexe car il y a de multiples canaux de communication : le compte client, le chat, le téléphone et Instagram. Le client est roi, c’est une évidence mais le digital nous fait parfois oublier que derrière une commande, ce sont de vraies personnes humaines. Chez Albertine, il n’y a pas de robots. Et ce qui est fait par l’Homme peut générer des erreurs, mais rien n’est gravé dans le marbre et nous trouverons toujours les solutions. Il m’arrive de communiquer moi-même sur Instagram pour rappeler que derrières tous ces outils digitaux, il y a une personne et nous tenons à valoriser ce capital humain en le mettant en avant via des stories.

Dans le même temps, je comprends que sur notre segment de luxe abordable, nous nous devons d’avoir un service irréprochable. Nous devons être rapide et le faire bien, tout en maîtrisant nos coûts. Nous ne pouvons pas oublier qu’à un moment, dans l’expédition d’un colis, il y a quelqu’un qui paye ces frais de livraison. On a tendance à l’oublier dans cet environnement ultra concurrentiel. Nous essayons donc de négocier et maîtriser au mieux ces frais. Car il suffit qu’il y ait un retour produit, puis un ré-envoi pour que la marge soit nettement diminuée.

Comment se passe la répartition des tâches avec ta sœur ?

Caroline s’occupe de la finance, de la comptabilité, de l’administratif, des achats et du suivi de production. Quant à moi, je suis en charge de la communication, de l’identité visuelle, de l’évènementiel, du marketing, de la vie de bureau et du retail avec nos 2 boutiques à Biarritz et Hossegor. Ensemble, nous pilotons la stratégie de marque, la création et le dessin.

Ton mari travaille toujours pour Albertine ?

Il est freelance mais toujours très impliqué avec nous. On peut dire qu’il est Directeur Artistique et veille à l’image de marque d’Albertine. Ma sœur et moi, on s’occupe des collections et Nicolas, lui, fait tout le graphisme des outils que nous utilisons : site, logo, catalogue…

Qui a été ton premier salarié ?

Quand nous avons eu la boutique, j’ai commencé par prendre des stagiaires. Nous faisions les saisons ainsi. Puis, une personne s’est présentée à nous, avec un profil hyper intéressant : Inès. Elle cherchait un contrat de professionnalisation. Nous savions que nous étions prêts et que nous pouvions aller au-delà d’un stagiaire. Ce fut une étape très importante. Sans le savoir, c’était le recrutement plus que parfait. Inès se formait sur le marketing digital en parallèle donc, elle apprenait en même temps que nous, mais avec 20 ans de moins que moi. Elle a une super personnalité et elle a tout de suite incarné la marque, dès le départ. Elle était au même niveau que ma sœur et moi pour comprendre la marque, la commercialiser, en parler…etc. Cela nous a fait passer un nouveau step.

« Sans le savoir, c’était le recrutement plus que parfait »

Combien êtes-vous aujourd’hui ?

Aujourd’hui, nous sommes 6. Notre deuxième salariée n’avait pas de compétences spécifiques métier mais elle s’est adaptée parfaitement à la marque et aux évolutions. Ce qui est clair, c’est qu’il ne nous fallait que des couteaux suisses, nous ne pouvions pas embaucher des experts. Aujourd’hui, nous sommes dans une bonne phase de croissance et l’idée est d’affiner ce recrutement. Nous avons par exemple recruté dernièrement Andréa en qualité de Chef de produit. Elle travaille avec ma sœur et moi depuis la conception des collections jusqu’à leur livraison. Elle va nous permettre de mieux analyser nos ventes et de prendre de meilleures décisions. Nous avons aussi renforcé l’équipe autour d’Inès pour s’occuper du site internet et des ventes en ligne car c’est là que nous avons un fort potentiel.

Qu’attends-tu de tes équipes ?

Je n’ai pas de méthode de management ni de recrutement. Ce que j’attends, c’est une implication sans faille de mes équipes. Pour moi, il faut adhérer à la marque, à l’état d’esprit. Il faut avoir conscience que travailler chez Albertine, c’est énormément de boulot, on ne va pas faire uniquement sa tâche spécifique puis partir quand c’est l’heure, non. Du coup, cela implique pour moi de recruter des personnes qui aient cette personnalité, cette vision et je crois qu’on y est arrivé.

Je ne mets pas la pression aux gens, je ne sais pas mettre la pression. Tu ne peux pas rentrer chez toi avec la boule au ventre et mal dormir à cause du travail car je ne suis pas derrière et personne n’est derrière personne. Tu es autonome. J’attends donc aussi un niveau d’autonomie élevé. Je suis incapable d’avoir quelqu’un à mes côtés à qui je dois constamment donner des tâches. Il m’est arrivé d’avoir des stagiaires qui n’avait pas cette forme d’autonomie et ce fonctionnement trop freestyle ne leur a pas convenu. Moi, je suis dans mon truc avec mes 15 casquettes et j’ai besoin que mes collaborateurs me sollicitent, viennent me voir pour me présenter des choses, me parler des projets en cours… Je comprends que certains détestent et c’est la raison pour laquelle j’insiste bien en entretien sur cette notion d’autonomie.

La qualité de vie à Hossegor est-elle un élément dont il faut tenir compte ?

« Tout se fait à Paris aujourd’hui et je pense que notre monde a besoin de décentralisation. »

La vie qu’on a ici et le travail que nous faisons ne serait pas le même à Paris. Ça pour moi, c’est une chance énorme. Pour certain, c’est une évidence, pas pour d’autres. C’est très personnel, c’est un choix que j’ai fait moi. Tout cela est une question de choix, et le choix implique des renoncements. En venant ici et en gérant la marque d’ici, nous avons renoncé à plein de trucs Parisiens justement. J’espère qu’un jour, nous allons arrêter avec Paris. J’espère que d’autres marques vont suivre. Asphalte l’a fait il y a quelques années en s’installant à Bordeaux. Tout se fait à Paris aujourd’hui et je pense que notre monde a besoin de décentralisation.

Comment faire pour que les revendeurs véhiculent aussi ton image de marque ?

Nous devrions avoir des séminaires d’immersion ici dans nos bureaux…etc. La réalité est que nous ne le faisons pas. Nous le faisions de façon informelle lors des salons car nous rencontrions et passions du temps avec nos revendeurs. Mais, il y a 2 ans, nous avons arrêté les salons et coupé notre budget attaché presse. Nous avons réorienté nos investissements, nous avons dû faire des choix. Ce n’est pas idéal, nous aimerions passer plus de temps avec nos revendeurs pour qu’ils maitrisent mieux nos collections mais nous devons prendre des décisions. Je ne crois pas au tout digital car j’y vois des limites, mais la réalité et la crise actuelle nous montre que nous devons continuer d’investir sur ce circuit de distribution. 

N’as-tu pas peur qu’un mauvais accueil du personnel d’une boutique ou d’un grand magasin pénalise l’image d’Albertine ?

C’est très intéressant mais je crois que le travail que nous faisons en communication digitale rejaillit dans les boutiques. D’une part, nos revendeurs, en plus de nos échanges, nous suivent sur Instagram, et d’autre part, nos clientes nous connaissent aussi par ce biais-là. A Biarritz et à Hossegor, nos boutiques sont des boutiques de destination. 95% des clientes qui rentrent connaissent déjà la marque et viennent pour acheter. De ce fait, nous pouvons nous permettre de ne pas être dans des endroits numéro 1 avec d’énormes loyers.

« 95% des clientes qui rentrent connaissent déjà la marque et viennent pour acheter »

Est-ce que vos clientes d’aujourd’hui sont celles d’hier ?

Oui, il y a une bonne fidélité.

Comment mesures-tu leur satisfaction ?

Nous n’avons pas d’outils de mesure. Avec nos récents recrutements, l’idée est de pouvoir aller plus en profondeur sur le site, et donc travailler à la fois nos clientes fidèles mais travailler aussi avec beaucoup plus de précisions sur celles qui ne viennent que pendant les braderies ou pendant les soldes.

Qu’est-ce qu’un service client de qualité pour toi ?

Selon moi, premièrement, il faut être rapide. Ce n’est pas moi qui vais faire changer l’état d’esprit des gens, à nous de nous adapter. Et deuxièmement, nous devons toujours trouver des solutions. De mon point de vue, une cliente satisfaite est la meilleure ambassadrice possible de la marque. Nous mettons donc beaucoup de ressources et d’efforts pour satisfaire nos clientes. Nous ne supportons pas les déceptions ou les problèmes, nous trouvons des solutions.

« Nous ne supportons pas les déceptions ou les problèmes, nous trouvons des solutions. »

Quel est le service en plus que vous proposez par rapport aux poids lourds d’internet ?

Je pense qu’on a une communication privilégiée. Je suis réelle, les filles sont réelles, nous montrons parfois ce qui se passe dans le bureau. Notre business model fonctionne du fait de notre taille mais n’est pas forcément applicable à plus grande échelle.

Quel est ton moteur aujourd’hui ?

Le moteur n°1, c’est le côté familial d’Albertine. Nous ne sommes pas du tout sur une structure pyramidale. Il y a ma sœur et moi certes, mais Inès par exemple, prend des décisions et nous lui en faisons prendre. J’ai ma sœur, ma sœur m’a, j’ai Nicolas qui est un support précieux pour moi en plus d’être le DA. Et comme je suis quelqu’un d’angoissé, cette famille m’aide à avancer. Je n’ai pas envie de me retourner, alors j’avance.

« Je n’ai pas envie de me retourner, alors j’avance »

Il y a un revers de la médaille à ce côté familial, c’est que je vis et je dors Albertine, je n’ai pas de vrai break. Mais en même temps, c’est cool (sourire).

Albertine est engagé auprès d’une association pour la préservation du corail et aussi dans la recherche de nouvelles matières pour améliorer votre impact environnemental, est-ce important pour la clientèle ?

Hyper important. J’ai pas mal réfléchi à ces sujets. Nous ne sommes pas une marque dont l’ADN est l’écoresponsabilité. Je ne vais pas mentir et faire du greenwashing. Cependant, depuis quelques années, ces préoccupations font parties de nos vies et donc de notre travail.

« Moi, je vois l’océan tous les jours, je suis aussi maman de 2 petits garçons et je me demande souvent quel monde nous allons leur laisser »

Moi, je vois l’océan tous les jours, je suis aussi maman de 2 petits garçons et je me demande souvent quel monde nous allons leur laisser. Ma sœur, a vécu en Guadeloupe, elle est elle aussi mère de famille. Inès, a grandi dans les îles puis à Hossegor, elle surf, elle est issue de la génération après nous. Elle fabrique par exemple son liquide vaisselle, elle ne met pas un pied dans un supermarché, et tout cela est naturel pour elle. Alors, au bureau, bien sûr, nous avons commencé par trier nos déchets.

Et puis, une multitude de petites actions sont venues faire évoluer nos pratiques. Par exemple, quand j’ai dû refaire les étiquettes de nos produits, j’ai échangé avec notre fabricant en Italie pour savoir si nous pouvions en avoir qui n’étaient pas fabriquées en Chine, ou bien, au moins, de s’assurer que les nouvelles soient fabriquées avec des fils de polyester recyclé…etc. 

Nous nous sommes donc demandé comment nous pouvions en parler tout en étant légitime. Parce que nous faisons du maillot de bain, l’océan était une évidence. Nous avons pris contact avec cette association française Coral Guardian, et là, je suis tombé sur une personne géniale, qui s’appelle Hélène Colson. Nous avons donc mis en place cette solution de don sur notre site web. Et nous, en plus, nous reversons chaque année une certaine somme d’argent à l’association. Avec Hélène, nous avons réfléchi en plus aux 2 gros sujets qui touchent notre industrie.

Premièrement, les matières et deuxièmement, la fin de vie d’un produit textile. C’est colossal la quantité de vêtement en fin de vie chaque année sans possibilité de recyclage et la majorité est envoyée en Asie ou en Afrique, les fameuses poubelles du monde occidental. Donc, la question, c’est : Avec notre business, comment faire mieux ? Les fournisseurs de tissus ont mis du temps mais ça y est, ils ont mis au point une matière avec un fil de polyester qui est fabriqué avec du plastique trouvé en mer. Nous avons aujourd’hui 80% de nos maillots de bains fait avec cette matière-là. 

Et c’est plus cher ou moins cher ?

C’est plus cher ! Tout est plus cher ! Petit à petit, on essaye que tous nos tissus soient sourcés de la façon la plus responsable possible. Nous avons un dicton chez Albertine, c’est que nous ne pouvons pas être parfait, mais qu’être meilleur, ça le fait aussi : « Perfect is great but better rocks too ». 

« Perfect is great but better rocks too ». 

Il reste cependant une problématique majeure : le recyclage des mélanges de fibres. Il y a de la recherche sur ces sujets mais pas suffisamment. Si on prend du recul, ce sont nos modes de consommation qui doivent être remis en cause. En résumé, plutôt que d’acheter 10 maillots chez H&M, il vaut mieux en acheter 1 chez Albertine… Mais bon, j’aimerai bien que tu en achètes plus d’1 ! (rires)

Plus sérieusement, il y a une question de mentalité et ça, c’est en train d’évoluer mais il y a aussi une question de conception. En effet, il faudrait concevoir un produit en prenant en compte la fin de vie. Sauf que dans le maillot de bain, c’est un vrai problème car le mélange polyamide et élasthanne n’est pas recyclable.

Et qu’en est-il du packaging ?

C’était un gros point noir. Pendant des années, nous recevions tous nos maillots dans du polybag (sachet plastique transparent). Ça, c’est un enfer. Déjà qu’au niveau d’une famille on génère beaucoup de déchets plastiques, chez Albertine, nous n’en pouvions plus de voir tous ces déchets, cela nous écœurait. Et malgré de nombreuses recherches, nous ne sommes pas parvenus à trouver de solutions durables. Il y avait une alternative, c’était des sachets mais fait à partir de maïs. Il s’avère qu’en fait, c’est un non-sens total. Nous ne faisons que déplacer le problème car cela détruit des pans entiers de terres agricoles. Alors, évidemment, on ne fait pas ça en France… D’une part, on détruit les sols et d’autre part, on retrouve tout de même des particules de plastiques dans ces emballages. La seule vraie solution, c’était de ne pas avoir de sachets.

Un jour, on s’est dit « Ok, on y va », on a sauté le pas, on a supprimé ces emballages. Tous nos fournisseurs et nos revendeurs étaient emballés ! Cela a été compliqué d’un point de vu logistique. On parle de maillots à 150€, on se doit de manipuler avec soins nos produits.

De plus, nous avons banni les protections plastiques hygiénique, ce qui est la règle depuis toujours, mais nous avons souhaité aller au bout des choses. Cela implique d’essayer le maillot en culotte et donc nous avons dû expliquer cette démarche de façon pédagogique à nos clientes. En général, lorsqu’on dit que c’est pour éliminer le plastique, les gens comprennent et sont favorables. Mais ce ne fut pas simple. Les premières collections que nous avons reçu ainsi, nous avons vraiment eu peur d’avoir fait une grosse erreur. 

Désormais, nos maillots arrivent dans du papier de soie joliment plié. Le travail est colossal et nous prenons en charge ces coûts supplémentaires. Encore une fois, cette solution est faisable du fait de la taille de notre société.

Quand verrons-nous une collection homme chez Albertine ?

Nous l’avons fait et nous y reviendrons peut-être, on ne sait pas…

Nous voulons faire bien ce que nous faisons déjà et pour les hommes, c’est un réseau de distribution totalement différent.

C’est important pour le public masculin qui lira cet interview…

Et bien, en attendant, le public masculin pourra offrir des cadeaux à leurs femmes, petites amies et filles (rires).

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